14 février
Par Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’IRIS
Il y aura peut-être bientôt un nouveau scandale de Panama. Un scandale révélateur comme le précédent de nouveaux rapports de force. Hier, à la fin du XIXe siècle, il s’agissait de la France et des Etats-Unis. Aujourd’hui c’est l’Espagne qui est au cœur d’un nouveau drame géopolitique, avec toujours les Etats-Unis, mais aussi la Chine, le Brésil et bien d’autres puissances montantes.
Panama, a fait rêver les navigateurs, voyageurs et commerçants, depuis cinq siècles. Le rêve a pris parfois les couleurs du drame. Les grands de ce monde ont bataillé pour contrôler tout ou partie de l’isthme. L’Espagne, en dépit de grignotages britanniques, a occupé l’Amérique centrale pendant quatre siècles. Simon Bolivar, libérateur des Amériques, voulait en faire le centre du monde. L’isthme a été disputé par Anglais et Etasuniens tout au long du XIXe siècle. Les Français ont essayé de les départager en fin de période. Les Nord-Américains ont raflé la mise en 1903 et construit à Panama un canal transocéanique ouvert au trafic maritime en 1914. La Russie soviétique, cinquante ans plus tard, a mis son grain de sel. Avec Cuba, elle a tenté de prendre pied au Nicaragua et au Salvador cinquante ans plus tard.
La fin de la guerre froide avait apaisé les appétits rivaux semblait-il. Elle avait fabriqué une paix régionale en dominos, du Nicaragua au Salvador, en passant par le Guatemala. Les Etats-Unis avaient démantelé leurs bases militaires et rendu le canal aux Panaméens en 1999. Les enjeux de la puissance, et des rivalités internationales, glissaient plus à l’Est vers le Golfe arabo-persique avant de se focaliser sur l’Asie du Sud-est. L’isthme rendu à sa fonction de couloir allait être oublié du monde pendant quelques années. Les aléas de la compétition économique mondiale, exacerbée par la crise occidentale, les ambitions d’Etats latino-américains ayant gagné en assurance, le regard invasif des Asiatiques sont en train d’éveiller de nouvelles concurrences. L’isthme en général et Panama en particulier, sont vus comme une jugulaire articulant divers espaces économiques majeurs. L’intuition de Bolivar a été réactualisée par le dynamisme du commerce maritime, entre Asie et Amériques, Amériques et Europe, Afrique, Proche-Orient et Pacifique américain.
Les pièces d’un kriegspiel centrées sur Panama se sont successivement mises en place de façon accélérée. La réactivation économique latino-américaine, le dynamisme croissant du commerce avec la Chine et ses voisins asiatiques, ont eu comme première conséquence, la décision prise par Panama de moderniser un canal vieux de prés d’un siècle. C’était en 2009. L’appel d’offre visant à créer de nouveaux jeux d’écluses permettant le passage de bateaux gros porteurs, de 15 à 20 mètres de tirant d’eau et 366 mètres de long, a été gagné par un consortium conduit par une entreprise de BTP espagnole, Sacyr. Le secteur sinistré en Espagne depuis 2008 poussait les sociétés de travaux publics à une agressivité commerciale croissante. Le gros œuvre, selon le contrat signé à ce moment là avec l’Autorité du canal de Panama, devait être achevé en 2015.
Cette décision accompagnait une conjoncture restant orientée au vert, marquée par la montée en puissance des échanges maritimes. Panama, a bénéficié de ce climat, tout comme de la récupération des installations cédées par les Etats-Unis en décembre 1999. Sa croissance annuelle a été de l’ordre de 7 à 10% pendant la période. Cet argent a été investi dans l’amélioration d’infrastructures annexes, routes, transports ferroviaires urbains. D’autres acteurs internationaux sont alors entrés dans le jeu. Certains ont offert leurs services pour emporter des marchés locaux. Le Japon a ainsi proposé le plan de financement d’une ligne de métro. D’autres ont anticipé la réorganisation du trafic maritime, et son effet d’entrainement sur la politique d’embargo des Etats-Unis à l’égard de Cuba. Les ports de Houston et Miami ont engagé de grands travaux de modernisation. Et tout en face, à Mariel près de La Havane, le Brésil a financé et construit un énorme port de redistribution de conteneurs, au cœur d’une zone franche. Le Mexique qui avait oublié la région, depuis une dizaine d’années, a annulé 70% des dettes cubaines à son égard. Le Mexique est prés de signer un accord de libre échange avec Panama. Le président, Enrique Peña Nieto, a mis l’accélérateur sur une coalition régionale mise en œuvre par son pays, l’Alliance du Pacifique. Le Costa-Rica a annoncé le 10 février 2014, son intention de rejoindre cette organisation. Panama devrait bientôt suivre.
Les émergents asiatiques sont à l’affût. La Turquie négocie un accord de libre-échange avec le Costa-Rica. Elle envisage l’ouverture d’ambassades au Costa-Rica et à Panama. Le Président chinois, Xi Jinping, a visité la région en juin 2013, une région traditionnellement favorable au frère ennemi taïwanais. Le Costa-Rica, qui préside la CELAC (la Communauté des pays d’Amérique latine et de la Caraïbe)en 2014, a signé avec la RPC une batterie d’accords bilatéraux à portée commerciale. Les entreprises chinoises ont multiplié les offres visant à doubler ou tripler dans un esprit concurrentiel les couloirs transocéaniques. Une entreprise chinoise, CHEC (Chinese Habor Engineering Company), a signé un traité visant à construire un canal sec, une voie ferrée au Honduras, d’Atlantique au Pacifique. Une autre, HKND, a négocié et fait adopter en un temps record par le Nicaragua une sorte de traité inégal, accordant à un financier chinois le droit de construire un canal transocéanique et de devenir le propriétaire des terres adjacentes.
La voiture serait-elle allée trop vite ? Les travaux d’élargissement du canal sont aujourd’hui en effet interrompus. Le consortium conduit par l’espagnol Sacyr s’est déclaré incapable de terminer les travaux. 70% du gros œuvre est pourtant achevé. Mais à cause peut-être de cela, Sacyr et ses associés belges et italiens, demandent à l’Autorité du canal une rallonge correspondant à un tiers de l’appel d’offre pour terminer le chantier. Les Chinois restent mobilisés du Honduras au Nicaragua, comme les Brésiliens à Cuba. Mais ce sont les Etats-Unis qui ont tapé du poing sur la table, début février 2014, et exigé une reprise des travaux dans les plus brefs délais.
Cette réaction nord-américaine est dans l’ordre des textes et des rapports de force. Le traité de rétrocession du canal donne aux Etats-Unis un droit de co-regard. Ils en restent d’autre part les premiers utilisateurs. Ils sont logiquement les premiers intéressés à sa modernisation. Le gouvernement espagnol qui est très dépendant des marchés extérieurs, et plus particulièrement de ceux d’Amérique latine, a envoyé sur place l’un de ses ministres. Ce fiasco entrepreneurial vient après bien d’autres. La crise économique a sensiblement réduit la voilure de l’Espagne. Déjà en novembre 2013 la dernière conférence ibéro-américaine, qui se tenait à Panama, avait été boudée par un très grand nombre de chefs d’Etat latino-américains. Ils étaient en revanche tous à Cuba fin janvier 2014 pour assister au deuxième sommet de la Communauté des Etats de l’Amérique latine et de la Caraïbe.
A l’image de l’Espagne, l’Europe a mal pris la marche panaméenne. La France accuse de façon récurrente Panama d’être un paradis fiscal depuis 2010. Panama a menacé de réviser les grands contrats signés avec des entreprises françaises. L’Union européenne a négocié en 2012 des accords commerciaux avec les pays de la zone qui ne sont pas encore ratifiés. Bruxelles a par ailleurs signalé en janvier 2014 une révision de sa politique à l’égard de Cuba. Certes les jeux sont loin d’être faits. Mais rien ne va plus…
* Notícia publicada a Affaires Strategiques. En vista a anàlisis com aquesta, l'Estat espanyol hauria de pensar-se si pot seguir actuant a l'exterior com actua a casa.
Cap comentari:
Publica un comentari a l'entrada